Notre Dame de Paris - Saint Jacques de Compostelle : 1925km en fauteuil roulant

jeudi 11 mai 2017

Mercredi 10 Mai 2017 - Jour 24, étape 15

 

 Insolites


Départ : Melle (chez Jean-Jacques)
Arrivée : Etrochon (chez Didier & Sylvaine)

Distance parcourue : entre 0,7 et 9,7 km

Podomètre : hm... 1 727 pas (oui c'est moins que quand je vais chercher mon pain... et pourtant !)

Cumul : 303 614 pas / 263,7 km

Météo : Soleil puis Pluie


Rushes :  90,9 Go

En face de chez Jean-Jacques, c'est une école. Au numéro 7. L'article d'hier ne veut décidément pas se détacher de moi. Comme un signe que cette journée ne nous fera pas avancer de la même manière que les précédentes. Jean-Jacques non plus ne se détachera pas de nous à notre départ. C'est assez beau de voir cet homme pudique être touché par notre duo, presque mine de rien... Nous descendons donc ensemble la Grand Rue, jusqu'à l'une des trois Eglises de Melle, et pas des moindre : la belle et symbolique Eglise Saint Hilaire. Et nous n'y sommes pas encore entrés que nous rejoint Didier, le photographe que nous avons rencontré hier soir, et qui a comme moi passé la nuit à poster un article sur nous et à chercher un itinéraire qui nous sera adapté !

Si Alain a jusqu'ici été fasciné par la quasi totalité des lieux traversés, je sens pour ma part que c'est ici que je tombe amoureuse. 3500 habitants, 5000 si l'on inclus les proches villages de Saint Martin et de Saint Roman. Et un tel dynamisme pourtant, une vie associative jeune et développée, des iniatives originales, créatives, bienveillantes. L'état d'esprit de chacun semble constructif, investi, nourrissant. Quelle douce puissance.

A l'image de Melle, Saint Hilaire porte aussi bien l'héritage des siècles que la richesse des époques qui se sont succédées dans ses murs, jusqu'à l'ajout contemporain d'une touche d'art moderne. Et ça lui va bien. Notre époque avait également sa marque à fournir, s'intégrant dans la tradition de perpétuer l'appropriation par chaque époque d'un édifice symboliquement trop souvent figé dans un âge avec lequel nous n'avons plus de lien.

Jean-Paul, notre barbe historienne, nous indique d'ailleurs quelques pierres qui sont de la "récupération" d'édifices romains. Lorsqu'une pierre ne servait plus à un monument, il n'existe pas meilleur recyclage que de s'en servir pour un autre. D'où la richesse finale du bâtiment. Dans les pierres, Alain cherche aussi les animaux et symboles alchimistes. "C'est une salamandre, non ? Ou un dragon, avec les ailes, là ?". Difficile de trouver toutes les réponses, mais on cherche de jolies pistes. Nous apprenons notamment que les Modillons, ces sculptures sur les parties hautes des églises, étaient souvent exemptées de contraintes de la part des commanditaires des édifices, et donc laissés à la "liberté d'expression" des artistes et artisans. C'est donc dans ces parties que se cachent divers symboles traversants les siècles, par exemple, tiens, encore eux, ceux des Alchimistes.

Nous apprenons encore quantité d'informations précieuses sur les églises en particulier, et celle-ci en général. Euh, bref, vous m'aurez comprise.

Il a été bien souvent remarqué que les églises ne sont jamais orientées selon la route ou selon un impératif "pratique" qui aurait été suggéré par les urbanistes médiévaux, mais bien souvent selon des lignes d'énergies véhiculées par des cours d'eau souterrains. L'entrée dans une église est ainsi tel le chemin de la vie, dont le but est l'autel, la fin l'accès au divin. C'est pour cela qu'existe toujours une entrée latérale dans les églises : le initiés, déjà sensibilisés à la religion, n'ont ainsi "pas besoin" de refaire "tout le trajet". Cette découverte totale est laissée aux novices, qui ont toute la démarche à faire, tout le chemin à parcourir.

Le point de centralisation des énergies est l'endroit où il est prévu que le prêtre se place. Il est ainsi pleinement dans son rôle de lien entre les énergies terrestres et célestes, étendant les bras pour permettre à ces énergies de circuler par lui.

C'est d'ailleurs le seul bémol du nouvel Autel en albâtre, car le baptistère étant incrusté dans le socle plutôt qu'à hauteur d'homme ou femme, le siphon emporterait avec lui ces énergies. Cette construction récente a été l'occasion de rénover tout le choeur, et de découvrir ainsi aux pieds des colonnes des vestiges du XIè siècle, confirmant non seulement l'âge de l'édifice qui était pressenti par les spécialistes, et révélant l'origine de ceux passés sur le chantier à l'époque. Et, hasard ou coïncidence, auxquels personne ici ne croit plus de toute manière, il a été découvert qu'un sachet de pièces apporté par un généreux donateur puis enfoui ici des siècles durant, contenait des monnaies frappées de chaque étapes de son périple : Orléans, Tours, Poitiers et de nombreux villages dont nous avons découvert l'existence uniquement en parcourant le chemin ! Improbable d'y passer si cette route n'était pas déjà symboliquement marquée à l'époque. C'est autant d'eau apportée au Moulin des recherches jacquairistement historiques de Jean-Paul.

Dernière particularité que je ne peux m'empêcher de vous partager, vous pourrez observer sur les photos que l'église est comme construite dans une cuvette, les escaliers y menant étant uniquement descendants. Même les vitraux contiennent des marches. Comme si "la main de Dieu avait posé l'église ici, et pour bien la fixer, il a appuyé un peu. Elle s'est donc enfoncée." Et pour remonter à Dieu, l'Autel choisi comporte ces couches saccadées qui permettent de s'élever vers Lui à leur ascension.

Je goûte à l'honneur de gravir ces délicats paliers afin d'aller faire tamponner notre Crédentiale par l'adorable Christiane, voisine devenue gardienne des lieux. Elle nous confie que c'est au fil des passages de visiteurs qu'elle a appris à connaître l'église, chacun posant des questions sur des aspects auxquels le précédent n'avait pas spécialement pensé en ces termes.

 

Lorsque l'on sort enfin de l'église, nous faisons la connaissance de ce qui semble à première vue être un cycliste. Nous découvrons vite que c'est en réalité bien au-delà d'un pédaleur de passage.

Sébastien a entendu parler de nous grâce à l'article de cette nuit de Didier, qui le suit également pour soutenir les projets fous de ce sportif engagé et acharné. Son prochain défi est de parcourir 650 km en 30h (non il n'y a pas de zéro mal placé), et ce afin de récolter des fonds pour une famille dans laquelle 4 des 6 membres sont touchées de handicap, dont l'autisme et la maladie de Charcot Marie Tooth. Le projet est merveilleux et prend aux tripes. Comment ne pas contribuer à les aider à l'urgence qui a percuté Seb, à savoir se battre pour rendre viable la maison de cette famille ? Nous parlons mise en place de projet, caméras adaptées, préparation physique. Je transmets mon regard sur la manière dont j'ai senti tout mon être se mobiliser pour le projet d'Alain, et Seb nous donne de précieux conseils pour palier aux aléas mécaniques, aux crevaisons, aux soucis d'assise qui sont en effet communs à nos deux cyclistes, l'un en vélo, l'autre en fauteuil. Cette même évidence, ce même investissement complet à une cause qui nous transcende. Nous nous aidons à prendre conscience chacun de notre valeur et de notre place, notamment en tant "qu'équipe d'accompagnement" de ces projets auxquels on ne peut que livrer pleinement contribuer, mais qui aussi n'existeraient pas de a même manière sans cet investissement. Contribuer à leur portée, se mettre au service de ce en quoi nous croyons, faire de notre mieux et le faire donc pleinement, optimiser nos compétences dans cette direction et en faire le don complet, voici la flamme qui brûle dans nos âmes. Le tout avec sa vie à soi, ses blessures, ses richesses. Comme un tout, vertigineux et nécessaire. C'est fort et précieux d'avoir la chance de connaître Sébastien.

C'est plus qu'un coup de coeur, c'est une fusion de valeurs et d'énergies qui nous bouleverse tous profondément. Pour ne rien arranger, nous découvrons que nous avons en commun quelqu'un de solaire. J'évoque la Cité du Cinéma où je travaille à Saint Denis, et il se trouve que le plus humain et bienveillant de mes collègues n'est autre que le frère de Sébastien ! Improbable vous dites ? Je ne trouve pas beaucoup d'autres mots. Ce lien mêlé à tout ce que nous partageons déjà me donne l'impression d'avoir retrouvé un tonton. Un membre de la famille que je connaissais pas il y a une heure. Je crois que je n'en suis pas encore complètement remise. Si tant est que je n'ai même seulement commencé à m'en remettre d'ailleurs.

Je ne sais pas si c'est l'émotion ou la vitesse qui rend les photos un peu floues, mais quelle sensation unique de suivre, ou du moins précéder à l'envers (?), installée dans le coffre de la voiture de Didier, le cortège qui vient de se former : Seb propose de tracter Alain sur la route d'aujourd'hui. Ou plutôt, sur les côtes d'aujourd'hui, car je ne crois pas avoir repéré de tronçon plat. "ça me fait un entrainement aussi." nous dit Sébastient. Un entrainement chargé en émotion et en partage. Pour Alain, l'expérience est également percutante. "Je devais rester hyper concentré, je n'ai rien vu du trajet, des villages traversés, du paysage. Normalement je me laisse guider par Alice, je papillonne, je regarde partout autours de moi, j'adapte mon rythme à ce que je vois. Là je laissais mes yeux sur la sangle, pour qu'elle reste bien tendue, je vérifiais si le rythme était le bon pour le fauteuil, pour ne pas me déséquilibrer et l'emporter avec moi. Avec le projet de dingue qu'il doit faire bientôt, je ne pouvais pas me permettre qu'il se casse le poignet à cause de moi." Une concentration dense qui fatigue autrement. Pour Seb, c'est différent aussi de tracter Alain qui accompagne le mouvement plutôt qu'un poids éventuellement moindre mais statique. Un moment de partage incroyable, bouleversant, dévastant. Je ne sais qui de mon coeur ou de mon ventre a lancé l'idée d'échanger les meubles de place à l'intérieur de moi, mais l'impact émotionnel est incroyablement fort. Je suis incapable de le décrire et peut-être même de le comprendre encore. J'espère que les photos aideront un peu, je suis si pressée que vous puissiez découvrir les vidéos, de vous raconter ça encore des heures...

Insolites configurations, insolites reporters. Entre Didier qui conduit en continuant de prendre des photos et les trouvailles que les éléments en présence me permettent (filmer à la GoPro à l'envers et vérifier le cadre dans le rétroviseur, puis se mettre en tête de méta-capter le tout... Ben oui, pourquoi faire simple ?), ça vaut bien le point de vue du haut du casque qui donne à notre star de faux airs de Télétubbies. Et je l'espère sera une archive relativement unique à conserver et à transmettre.

Nous faisons halte à Saint Roman lès Melle. A l'église, modeste mais pourtant majestueuse, et dont les poutres rappellent presque celles des granges de campagne. Là aussi, les points d'énergie ont leur histoire, et l'inversion du point neutre (où l'on place par exemple le corps des défunts) et de celui du prêtre dont on parlait tout à l'heure, chargé de vie, donne au lieu une atmosphère particulière. Croyants ou non, il y a bien... quelque chose... lorsque l'on pénètre une église. Pour ma vision d'athée, ces histoires d'énergies m'interpellent plus que le paramètre divin, mais nous prenons conscience sur ce trajet que ces mêmes idées transcendantes portent simplement des appellations différentes.

 

Nous passons aussi chez Seb, où Alain découvre avec émerveillement la salle d'entrainement de ce grand sportif. Les yeux d'Alain retrouvent un éclat...insolite, indescriptible encore, c'est comme si son sourire était trop puissant pour s'effacer, sa peau trop tendue de joie pour être contrôlée. Il y a des étoiles et des feux d'artifices, un mouvement interne que l'on ne peut que sentir nous percuter. Ce n'est pas la première fois qu'Alain me dit qu'il a envie de refaire des pompes, mais sait bien que ses bras travaillent déjà suffisamment. Il ne faut cependant pas longtemps pour qu'il ne résiste plus à se mettre debout et à étrenner la barre de traction. Vous auriez vu ce sourire. Et dire qu'hier encore je parlais du père Noël...

Le sport de Didier, c'est plutôt la musique. Même avec un cintre il joue du triangle. Sur toute surface il pianote, tapote, bat les mesures que lui dicte son rythme. Et nous invite à manger, tous, et même un peu plus que tous... Eh oui, c'est bien Laurik qui a rejoint notre route et qui est déjà avec notre hôte  Sylvaine lorsque nous arrivons. Improbable, la vie.

Insolite aussi le repas cubain sur fond de musique cubaine, ces échanges sur les énergies, sur l'Un, sur le tout, sur le creuset, la Lumière. Et l'on revient sur la danse comme la musique, ces arts organiques qu'il nous faut sentir mieux qu'apprendre, reproduire avec le coeur, que l'on laisse nous traverser et que l'on accorde à l'énergie du groupe qui nous entoure et nous porte. On sort Congas & Djembé, je retrouve de lointaines bases de percutions, Alain en est possédé, Didier nous transmet ses incroyables et précieux savoirs-faire. Combien de vies a eu cet homme ? Combien de générosité a imbibé ce lieu pour que nous nous y sentions aussi à l'aise ? Nous sommes chez nous, Laurik y imagine même ses parents. En prendre conscience est presque troublant car quelque chose en moi ne veut pas paraître impolie à se sentir trop naturellement "chez soi". Mais ce n'est à aucun moment ce qui se dégage de l'atmosphère, l'osmose y est...insolite.

Il est presque 18h lorsque je remarque que malgré l'aide de Jean-Jacques, qui a passé la journée à chercher des contacts pour que nous logions ce soir, nous n'avons aucune réponse positive. "Vous pensez vraiment qu'on va vous laisser dans la nature ?". L'envie de ne pas déranger nous traverse, mais comment résister à celle de profiter de ce bien-être. Etrange impression de ne pas avoir débuté notre journée de "marche", et l'évidence à la fois d'avoir à être là où nous sommes, et d'y être ensemble. Alors nous dégustons un autre repas grandiose que le gâteau de Léna, la discrète et lumineuse fille de Didier et Sylvaine clôt merveilleusement.

Leur majestueux chien Gonzo m'offre mon baptême d'équitation, ne quittant plus l'arc de mes jambes, reculant lorsque je recule, avançant lorsque je m'y prépare. Une affection animale comme j'ai peu l'habitude d'en vivre, à l'inverse d'Alain, ce "Douniama / l'ami des Animaux" qui échange avec tout membre du vivant d'une manière générale. Pas d'exception faite au bâton de Laurik, dans lequel Alain découvre une tête de Salamandre, forcément. Insolites noeuds du bois, omnivibration des alchimistes.

Il est presque 3h lorsque je termine les sauvegardes des photos, et j'ai beau avoir organiquement envie et besoin de vous partager toutes ces énergies, je m'en sens absolument incapable. Ce n'est pas que de la fatigue, c'est un état flottant saturé d'émotions et de vibrations insolites. Pourtant je vous jure que je n'ai rien fumé ce soir. Des effluves d'une autre nature ont enveloppé mon esprit et mon âme. Je m'endors pour l'une des premières fois en même temps qu'Alain, lui sur le canapé qui redevient le lit d'avant sa vie, moi sur une la liseuse rouge au confort magicien et aux formes... insolitement chantantes ?

 
 
 

























































































































































































































































 



7 commentaires:

  1. Que de belles personnes vous croisez!!!
    Et là, en plus de la musique! Le bonheur est là!
    Bravo et merci!
    Sophie

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  2. Il y a une sensation de flottement, une sensibilité légère dans ces moments. Vous avez l'air d'avoir vécu une journée hors du temps.
    Et cette église est absolument esthétisante.

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  3. Héhé. Il ne faut pas louper les occasions de bonheurs que la vie nous offre… On se croisera à nouveau c'est certain. Quant à Gonzo, il trouve la maison bien silencieuse…
    J'ai croisé Laurik sur ma route du retour, reconnaissable à son grand bâton et son très grand sourire.

    Je vous souhaite à tous les trois des moments difficiles (un tout petit peu) et de beaux moments (beaucoup). Les premiers permettent de mieux apprécier les seconds.

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  4. Hey vous savez quoi, j ai lâché mon roman pour vous lire chaque jours, je​vis toutes vos émotions, j ai même l intriqué de vos rencontres, merciiiiiii c est un kiff de te lire.. gros bisous

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  5. Moments magiques hier. Rencontre faite de musiques, pensées à méditer parsemées (constellées !) de rires, on est partis bien plus loin que les étoiles, c’était chouette ! De belles personnes, toutes les quatre. Merci à vous Alain, Alice, Laurik et Sébastien. Belle route à vous !
    Des rencontres comme ça, ça ne se refuse pas. La vie est quelquefois si jolie !

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  6. Quelques photos supplémentaires de cette belle escale en Pays mellois.
    https://flic.kr/s/aHskZrHXgy

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