Notre Dame de Paris - Saint Jacques de Compostelle : 1925km en fauteuil roulant

lundi 10 juillet 2017

Attention, cet article n'engage que moi.


Epilogue.



Beaucoup de gens croisés ici m'ont demandé la hauteur de mon salaire. Le lien de parenté que j'ai avec Alain. La peine de prison que j'ai à payer à la société. Je n'en ai pas. Je fais ça par don, par conviction, par amour. En investissant mes ressources affectives, amicales, financières, physiques, en renonçant à du travail payé, à du temps passé avec mes proches, à quoi bon en faire une liste. Je ne le regrette pas. Je l'ai fait avec tout mon cœur, à chaque instant. Par amour, par idéal. Parce que cette volonté m'a touchée, parce que ces valeurs ont résonné. Et ces valeurs, elles ne font plus partie de ce voyage.

Car Alain n'est pas, ou n'est plus, l'homme que je pensais aider. Comme depuis le début du trajet, je lui ai posé calmement la question de savoir si quelque chose dans mon comportement ou mon langage a pu le blesser. "Tu te rendras compte toute seule" sera sa seule explication. Il m'affirme droit dans les yeux qu'il ne s'excusera pas. Et me blesse de nouveaux mots. Et de menaces physiques.

Aujourd'hui je crois que je ne peux pas expliquer mieux. Je ne plus expliquer plus. Je ne demande que la politesse de s'adresser à moi sans me faire pleurer ou vomir. Je ne demande qu'à voir la conviction nécessaire au projet dans l'âme de celui qui a voulu l'initier. Ce respect a été remplacé par la mise en danger de mon intégrité morale, émotionnelle et physique. Je suis restée en voulant croire à la pulsion incontrôlée, excusable. Je suis restée depuis Janvier auprès de cet homme qui porte dans son discours une volonté de changement de mode d'expression, et qui me crache si souvent son ingratitude à la figure. Je me suis dit encore que s'il s'excusait, s'il comprenait, je voudrais continuer. Je voudrais nous faire terminer. J'ai même presque encore l'espoir qu'Alain répare, qu'Alain s'excuse, qu'Alain comprenne. Mais j'ai cherché tous les angles. Alain ne souhaite pas réparer. Alain ne souhaite pas continuer.

Croix de bois, croix de fer. Le manque d'amour est notre seul enfer. Ce projet ne se terminera pas par magie. Il s'est construit par amour, il ne peut continuer de vivre sans. J'aime les jolis mots, et la réalité des actions qui les illustrent. J'ai donné mon maximum, et encore un peu au-delà. Je voudrais terminer. Mais je ne sais pas mentir. Et ce qu'est Alain aujourd'hui, je n'ai plus envie de le montrer, et de faire croire au modèle.

Je saigne de tout mon cœur de m'être trompée. Je suis déçue et désolée de ne pas vous offrir les images de notre arrivée. De renoncer pour toujours à pouvoir dire ce "On l'a fait !". Mais je l'ai fait. Pour vous, pour Omaël, pour les belles valeurs de ce projet, j'ai dépassé tous les obstacles plusieurs fois. Pour vous, pour Omaël, pour les belles valeurs de ce projet, je suis désolée de ne pas avoir pris la décision de tout arrêter plus tôt. Je vous présente toutes mes excuses d'y avoir cru assez fort pour vous y faire croire avec moi. Pour avoir tant mobilisé vos soutiens, vos énergies, vos dons, vos jolis mots. J'ai appris beaucoup de choses, et ce que nous avons déjà accompli a déjà de la valeur. J'espère de toute mon âme que ces idées, ces bonheurs, ces beautés que nous avons croisées vous ont déjà apporté aussi.

Omaël, je suis si désolée. Lorsque tu es né, j'étais très amoureuse de ton tonton Gabriel. Et nous étions si fiers de nous imaginer parrain et parraine. J'étais si fière avec ce projet d'avoir tout de même l'occasion de te transmettre l'amour absolu que les parents ont pour leur enfant, l'amour absolu que j'ai en moi et qui ne trouve pas encore son endroit. J'ai tant cru en tes parents.

Puisses-tu comprendre, Alain. Puisses-tu guérir tes blessures. Puisses-tu laisser mourir ces violences en toi et renaître de l'amour que tu souhaites donner à Omaël. Puisses tu passer bientôt de ton fauteuil, à ton Phénix.

Dimanche 9 Juillet 2017 - Jour 84, étape 40

 
 

Croix de bois, croix de Fer

 

Départ : Albergue Pilar, Rabanal del Camino
Arrivée : Casa del Peregrino, El Acebo
Distance parcourue : 18,4 km
Podomètre : 26 858 pas
Cumul : 690 km / 856 961 pas
Météo : Nuit& Brouillard
Rushes : 124 Go
 

 

 
La météo annonce de fortes pluies dans l'après-midi, l'étape est montagneuse. Hautement symbolique, mais hautement dénivelée. Il est donc conseillé de partir avant le lever du Soleil, non seulement parce que c'est joli, mais aussi pour éviter les fortes chaleurs pendant la route et arriver avant la pluie.

Le réveil est difficile, et Alain de très mauvaise humeur. La première occasion venue lui permet de me hurler dessus. Tenter de laisser passer ou de tenir tête ne changera rien au flot d'insultes que j'essuie. Quelque chose en moi a envie d'imaginer que la fatigue, que l'effort, que la maladie...et puis quelque chose en moi n'a plus envie de trouver des excuses à quelqu'un qui n'en a pas présenté une seule fois.

Il est 6h, nous avons loupé le lever de soleil et réveillé toute l'auberge par nos cris. Nous nous relayons derrière le fauteuil, les côtes sont difficiles. Je remercie Guillaume, Kevin et Maud de leur aide, du relais à la caméra, de leur amitié, de leur écoute.

Le point symbolique du jour, c'est la Cruz de Ferro. La Croix de Fer, aux pieds de laquelle il est coutume de déposer un cailloux emporté de chez soi, symbole des pêchés ou fardeaux de sa vie, des tournants ou moteurs, des prières ou amours. Un Taïwanais me montre ses pierres, qui ont fait tous ces kilomètres pour être déposées ici. Maud et Kevin soutiennent Alain pour qu'il y monte une pierre pour ses parents et ses anciens, et une pour Omaël bien sur.

Nous y passons un long moment, ayant moi-même besoin d'y évacuer un certain nombre d'amours disparues et de blessures encore vives.

La suite du chemin est majoritairement de la descente, malgré quelques côtes encore. Kevin, cette force de la Nature, suit Alain de près, s'accordant à son rythme. Il est un peu frustrant pour des marcheurs de rester sur la route alors que le joli chemin nous nargue, mais les paysages sont magnifiques tout de même. Et puis au cas où ils nous attendent de temps en temps, il est préférable de rester sur la route aussi. Je suis là pour Alain après tout, et il n'y a que la route qui soit accessible au fauteuil. Même si finalement le fauteuil ne nous attendra qu'à l'arrivée, dans une taverne d'Acebo. C'est dans ce village que se trouve une auberge grand luxe que nous a conseillé un ami du chemin sur ce blog même et que je réserve dans la foulée. Piscine, bar, restaurant, on a vu plus rustre. Et les prix sont même adaptés aux pèlerins... Chouette endroit.

J'essaye de renouer le dialogue avec Alain une fois arrivés, plus au calme. Mais ses réponses restent très agressives et ses arguments diffus. Nous allons faire une machine et nous reposer à la piscine avec Maud, Kevin et Guillaume. Je ne suis toujours pas sure de comprendre, alors j'attendrai demain pour tirer des conclusions, quelles qu'elles soient.