Notre Dame de Paris - Saint Jacques de Compostelle : 1925km en fauteuil roulant

lundi 24 avril 2017

Samedi 22 Avril 2017 - Jour 6, étape 4


Mamans, Papas, Lila


Départ : Orléans (Cathédrale)

Arrivée : Meung sur Loire (Le Mail) / Beaugency (Auberge de Jeunesse)

Distance parcourue : 31,8 km

Podomètre : 30 645 pas

Cumul : 94 146 pas / 83,3 km

Météo : Grand soleil d'été

Rushes : 97,9 Go
 


Ma nuit fut un peu courte mais régénérante, et j'arrive enfin ce matin à poster les articles des jours précédents (bon, une partie des photos ne charge pas et impossible de maîtriser leur positionnement mais au moins vous avez eu un peu de lecture). Chloé remonte en train sur Paris et nous descendons sur les bords de Loire pour entamer notre grosse étape du jour : presque 30 km au programme ! Heureusement, le trajet semble être intégralement cyclable et peu dénivelé, ouf ! Le paysage est magnifique et apaisant, le temps au beau fixe.

A la sortie d'Orléans, nous nous trouvons face à un escalier aux larges marches... Il en faut plus que ça pour nous décourager, nous le descendons prudemment en remerciant infiniment Serge d'avoir créé ce fauteuil ! Puis nous croisons des cyclistes adorables, qui se promènent avec leurs jeunes enfants dans une carriole qui ressemble à la notre. Ils nous indiquent que le reste du chemin est un peu trop étroit pour nous, et que sur l'autre rive les pistes de "La Loire à Vélo" sont mieux adaptées. Nous rebroussons donc chemin (le kilométrage indiqué en haut des articles est la distance réelle parcourue, j'ai donc compté ce détour et ne prends jamais en compte les trajets véhiculés bien sur) et découvrons une rampe d'accès qui nous permet d'éviter l'escalier, grâce à...mon Papa, qui vient à notre rencontre ! Nous traversons ensuite le pont de l'Europe, bel endroit plein de symboles pour y retrouver et enlacer ma Maman. J'étais contente lorsque mes parents m'ont proposés de venir mais je ne pensais pas être aussi émue de les serrer dans mes bras. Alain est ravi aussi, c'est très touchant pour moi de les voir si bienveillants l'un(s) envers l'autre(s) (merci de considérer ici le "groupe parental" comme un singulier grammatical car je n'ai pas du tout envie de réfléchir à une autre construction de phrase...).

Nous n'avons même pas terminé de traverser le pont que d'autres surprises attendent Alain : ce sont Marie-Lye, Olivier et leur choupette Lila qui nous rejoignent ! C'est par un collègue de Marie-Lye et ami d'Alain qu'ils ont entendu parler du projet et sont venus Lundi assister au départ. Cette envie de marcher avec nous alors qu'ils ne nous connaissaient pas est un superbe cadeau.

Nous avançons sur quelques kilomètres tous ensemble, ma Maman avançant régulièrement la voiture pour ne pas avoir à faire double chemin et pouvoir ramener ensuite nos amis à la leur. J'en profite pour poser mon sac à dos dans le coffre et même faire quelques avancées avec elle pour souffler un peu en sachant Alain bien entouré. J'éteins mon podomètre pendant ce temps bien sur, pour ne pas fausser les calculs.

Nous faisons halte pour manger dans un très joli village, au bord de l'eau. Nous n'avons pas pu cuisiner hier dans la chambre que nous avions mais nous avons la chance de ne pas avoir à attendre de croiser un commerce pour manger, car Marie-Lye et Olivier ont apporté des quantités d'une succulente salade de riz, et nous offrent également pour la suite plein de fruits et les gâteaux que Lila n'aura pas distribué aux canards. L'occasion de passer un agréable moment à observer les majestueux cygnes faire la loi aux jolis cols-verts, bercés par le rire tendre de ce petit bout d'amour et de vivacité. Lila est une pétillante fillette de 3 ans qui a plus de vocabulaire que moi et des yeux plein de malice et de douceur. Marie-Lye me confie que c'est aussi "un cadeau pour elle" que de nous avoir rejoint, pour qu'elle "rencontre des gens comme (n)ous et s'imprègne de ces belles valeurs, en apprenant que la vie est un partage". Je crois que ces mots se sont directement propulsés dans mon coeur au Top 1 des plus beaux compliments jamais entendus. C'est en tous cas un réel et immense cadeau pour nous que de passer cette journée avec eux. Le trajet passe tout seul, moment précieux de bonheur et de générosité.

Mes parents sont repartis en nous laissant compotes & smoothies, et c'est à présent Marie-Lye qui nous suit en voiture. Nous avançons au rythme du reggae jusqu'au milieu d'après-midi, puis ils doivent rentrer également. C'est avec beaucoup d'émotions et de tendresse que nous nous séparons, et nous continuons notre route admiratifs et reconnaissants de les avoir rencontré. Quelle chance de vous connaître. Quelles belles personnes vous êtes... C'est si fort de croiser des gens beaux.

Lila, nous te souhaitons autant de bonheur que nous en avons puisé dans tes yeux. Tu as des parents merveilleux. Et je ne sais pas si je leur ai dit, à mes parents à moi, qu'ils ne sont pas mal non plus, mais on en a de la chance.

Il nous reste entre quinze et vingt kilomètres à parcourir jusqu'à Beaugency. J'ai des lames de couteaux sous les pieds et les épaules en Pompote pêche-abricot sous le sac à dos. Alain a les mains en lambeaux, nous faisons de nombreux arrêts pansements/désinfectant, et je le pousse sur le plus de tronçons possibles afin qu'il s'économise un peu. Heureusement que le terrain est plat... du moins pour les sept ou huits premiers kilomètres... Arrivés au pont de Meung sur Loire, le terrain cycliste n'est plus bitumé. Téméraires, nous nous y engageons tout de même, il n'y a pas de relief et il ne semble pas si accidenté. C'est sans compter que ce n'est pas juste une transition, et que nous roulons très longtemps sur ce terrain, hâtés d'arriver à destination. Il n'est décidément pas souhaitable de dépasser les 20 km par jour. C'est une distance déjà conséquente au bout de laquelle nous pouvons être fiers d'arriver sans nous mettre en danger. Nous avons découvert une de nos limites.


Crevaison & Crispations

 


Ici, la lassitude nous guette mais nous faisons de grands progrès de coordination et de manipulation du fauteuil. Alain tombe tout de même plusieurs fois et ses muscles commencent à se raidir. Aucune chute grave, nous commençons à bien les anticiper et à bien gérer l'amorti lorsque la roue coince : il s'appuie le plus délicatement possible pour accompagner la chute pendant que je recule en douceur le fauteuil pour ne pas qu'il lui tombe dessus. Comme le dit Alain, on ne se souvient pas du nombre de fois où l'on tombe lorsque l'on apprend à marcher. Et je dirais même plus, mon brave Dupondt, qu'aider à se relever un ami qui tombe devant vous est une puissante leçon de vie et d'humilité. Quelque chose nous soude, il faut être forts à deux pour se sortir de ce terrain. D'autant que les prétextes de découragement ne manquent pas : nous sommes fatigués par la route déjà parcourue, il est plus de 18h, et malgré le Soleil toujours présent nous avons envie de nous poser avant qu'il ne se couche. Les moustiques commencent à sortir et, comble de Murphysme, le pneu gauche du fauteuil, qui a du rouler sur une pierre aiguisée, crève. Nous rafistolons la chambre à air avec de la mousse gonflante, lorsque des cyclistes nous croisent. Ils nous informent qu'il y en a au moins pour le double de ce que nous venons de faire avant de retrouver une route bitumée et que le dénivelé à venir est très difficile, même à vélo. Il est donc préférable de faire demi-tour. Moralement, c'est le moment où il faut se dire que c'est plus raisonnable et ne pas se décourager. J'appelle l'auberge à laquelle nous sommes attendus pour les prévenir de notre probable arrivée tardive et leur demande s'il existe des taxis dans le secteur. La dame a la gentillesse de me fournir plusieurs numéros, et la perspective de terminer notre étape en voiture une fois le chemin terreux rebroussé soulage un peu la difficulté à endurer.

C'est cependant hagards que nous franchissons le pont jusqu'à Meung sur Loire, et je cherche un endroit sécurisé, hors de la route, pour appeler le taxi. Je demande à Alain de me laisser passer le coup de fil avant de penser à quoi que ce soit d'autre pour être sereins le plus vite possible. C'est donc le moment qu'il choisit pour tenter de se lever chercher je ne sais quoi dans son sac. Avec l'état de fatigue dans lequel l'épreuve que nous venons de traverser l'a mis, c'est exactement la chose que je ne souhaitais pas avoir à vivre, même si aucun problème ne survient. Je préfère être attentive lorsqu'il entreprend ce genre d'opération, même en le laissant faire par lui-même. C'est peut-être étrange à expliquer mais malgré l'immense autonomie qu'Alain commence à retrouver, il me reste une lourde sensation de responsabilité quant à la gestion de ses déplacements, parfois plus brusques que sécurisants, surtout en état de fatigue. Et handicap ou non, lorsqu'un compagnon de voyage est à bouts de forces à un moment du trajet, quelque chose nous exige de mettre notre propre douleur de côté jusqu'à ce que le danger soit écarté et que nous soyons "au sec". Dans notre situation, c'est juste le cas un peu plus régulièrement que la moyenne. Et à cet instant j'attendais par compensation qu'il ne me donne pas de sujet d'inquiétude supplémentaire, même infime, car mon état de fatigue à moi ne me permettait pas de le gérer avec la bienveillance et la sérénité habituelle.

Cette peur lorsque je l'ai vu debout, le sachant fatigué et moi concentrée ailleurs pour quelques instants, mêlée à la tension nerveuse que je prends sur moi une minute de trop me fait sortir de mes gonds. Nous avons beaucoup parlé de l'équilibre entre sa liberté de tenter des déplacements "accrobatiques" sans me prévenir, et le fait que dans le contexte du voyage, avec l'accumulation de fatigue et la part de responsabilité qu'il m'a confié de l'aider à aller au bout de ce projet, c'est aussi nous aider tous les deux que d'éviter les situations que je peux appréhender comme dangereuses. L'énergie que je lui consacre ne me coûte pas si je reste sereine. Il y a déjà assez d'imprévus et de choses auxquelles palier pour que nous ne nous provoquions pas mutuellement de stress. Le but n'est jamais de brider quoi que ce soit, mais au contraire d'accompagner pleinement, d'aller constructivement dans le même sens. Prendre le temps de faire les choses sans brusquerie, cerner ensemble les buts et enjeux et réfléchir  le cas échéant aux alternatives. La surcharge des tâches n'est pour ma part gérable que dans cette bienveillance constructive, et c'est justement pour éviter de générer du stress que nous essayons de toujours cordonner nos écoutes. A côté de ça, il est évident que l'acceptation de la maladie et de la réduction de son autonomie est violente pour lui d'abord. Se sentir dépendant et accepter de demander de l'aide avec son caractère battant est compliqué. La limite est fine avec la sensation de "se laisser abattre" qu'il rejette plus que tout au monde, preuve en est de ce défi. Et c'est déjà avec beaucoup d'humilité qu'Alain me confie la gestion de son périple et comprend parfois que cela n'enlève rien à son courage incommensurable. Le respect et l'admiration que je lui porte sont pour ma part infinis.

Bref, je lui dis très sèchement que j'aurais vraiment aimé qu'il m'accorde d'attendre quelques instants comme je le lui avait demandé avant d'entamer quoi que ce soit. Il me répond très violement et de puissants sentiments d'ingratitude et d'irrespect me font fondre en larme de fatigue et de colère. Je ressens une telle forme d'injustice. C'est dur aussi pour moi d'admettre que des fois je ne gère pas, et j'avais besoin de ces quelques minutes sans source de stress pour terminer de gérer cette urgence avant de me permettre de relâcher la pression que je venais d'encaisser sur les derniers kilomètres. Qu'Alain ne le comprenne pas de lui-même me vexe énormément, qu'il s'obstine à s'opposer à moi lorsque je lui explique me rend folle de rage. Je pleure toutes les larmes de mon corps pendant des heures, et en toute sincérité, ce soir, je l'ai détesté de tout mon être. Et je ne suis pas sure qu'il passe une très bonne soirée non plus.

C'est peut-être ça aussi, les difficultés de ce trajet. Mais c'est qu'il nous était nécessaire de traverser ça pour évoluer, nous en rediscuterons une fois la fatigue atténuée.

Le conducteur du taxi, Eric, vient nous chercher et nous aide à charger notre cargaison puis à la porter jusqu'à la chambre à l'arrivée. Il nous offre la course en contribution à notre périple. Un geste qui nous touche au coeur et que nous saluons sincèrement.

L'accueil à l'auberge est très apaisant, et la réceptionniste prend grand soin de vérifier que tous les recoins de la chambre sont bien accessibles pour Alain. Une délicatesse que nous remercions également.
Alain change sa chambre à air pendant que j'entame le rituel interminable des batteries et sauvegardes. Nous sommes trop épuisés pour manger, trop contrariés aussi surement. Il est tard lorsque je termine cet article et mon dos est un champ de bataille. Demain sera un autre jour.









 


































































2 commentaires:

  1. Le chocs des Titans!!Apprendre à vous apprivoiser est également un beau défi et va renforcer votre force et votre amour, un lien fort nait entre vous..Au delà de votre courage physique respect pour cette épreuve toute aussi difficile.. Bisous

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  2. Ton témoignage est très touchant Alice. Le petit message à tes formidables parents aussi... Vous formez une belle famille! Courage pour la suite avec j espère le soleil qui va briller et dans le ciel et dans vos coeurs. Je suis très admiratif... ça me rappelle quelques souvenirs de jeunesse...Bises. Benoît

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