Notre Dame de Paris - Saint Jacques de Compostelle : 1925km en fauteuil roulant

mercredi 26 avril 2017

Mardi 25 Avril 2017 - Jour 9, étape 7

Cicatrices


Départ : Blois (Chez Danièle & Michel)

Arrivée : Chaumont-sur-Loire (chez Fabienne)

Distance parcourue : 19,2 km

Podomètre : 25 220 pas

Cumul : 161 042 pas / 138,6 km

Météo : Nuageux et frais puis pluie et carrément froid !

Rushes : 18,2 Go

Nous quittons Danièle & Michel avec beaucoup de gratitude et de douceur. Alain veut "être comme eux, être dans la paix et dans l'amour. On a pas grand chose mais on va le partager. Je veux restituer tout ce qu'on reçoit, accueillir des gens sur une route comme la notre".
 
 

Il rêve de ce cadre de vie, et puis il veut des animaux aussi. Il discute d'ailleurs avec tous ceux que nous croisons : chiens, oiseaux, ânes, chevaux... "Tu veux donner un coup de poing, tu as besoin de manger une omelette. Mais il faut savoir élever la poule qui va te donner l'oeuf." On vous avait prévenu, c'est le trip de la punchline.
 

Nous passons d'ailleurs près d'un enclos de chevaux. Leur réaction face à Alain est très belle. Ils le suivent sur quelques mètres... même eux auront marché avec nous ! "Après tout 'Douniama' c'est l'ami des bêtes ! Et les animaux sentent le handicap, ils sont très doux avec nous".


 

 
 

  


  
 





Nous avançons depuis plusieurs jours sur les formidables pistes cyclables du long de la Loire. C'est une initiative merveilleuse ce trajet bitumé, protégé de la route ! Nos vies et nos poumons vous remercient, initiateurs. Les chemins de terre sont définitivement à proscrire en fauteuil. A pieds, j'avoue que mes genoux auraient préféré. Ce trajet me donne d'ailleurs parfois envie de faire du vélo, sauf que pour pédaler, filmer, et pousser, je ne suis pas sure d'avoir assez d'équilibre ni de bras. Nous tenons tout de même une bonne moyenne de plus de 5km/h, avec de longs tronçons à 7km/h. Sur le plat ou le faux-plat descendant, je pose mon sac dans la charrette. Grâce à Michel, je ne le sens quasiment plus lorsque je le porte, mais avec le poids de la caméra à gérer, c'est parfois compliqué tout de même. Je propose sans cesse d'accompagner l'effort d'Alain en poussant la charrette, mais en dehors des montées c'est rare de le voir accepter. Peut-être dois-je réfléchir à une formulation qui ne contiendrait pas le verbe "aider" ? En tous cas les bras d'Alain se développent et ses mains sont très douloureuses. Ses muscles vont de mieux en mieux tout de même. Là où la maladie empêche normalement une bonne récupération des muscles, il sent depuis le troisième jour qu'il est en pleine forme au réveil. Cela n'empêche pas de grandes fatigues en fin de journée, mais c'est encourageant. Quel beau combat il mène en tous cas. Tant de choses remontent et s'évaporent. "Ce trajet, c'est une grosse gomme en forme de croix. Quand on va arriver, on aura laissé tous nos cailloux derrière nous."



 


 
 

 


Plus il s'adoucit, mieux il va. "J'ai grandi comme un dur, mais la colère, c'est jamais bien. Le corps encaisse, et voilà le résultat."

Il y en a déjà tant, des choses qui s'évacuent. Nous roulons, marchons, avançons pour la paix et le partage. "C'est toujours la Lumière qui est au bout, même dans tes photos. C'est puissant. C'est vers cette Lumière qu'on va." Même si aujourd'hui il pleut. Et qu'on abandonne toute idée de look. Une manière de se détacher des apparences, en somme. Et puis c'est bon pour la nature.

 

 

 
 
 
 

Lorsque nous devons rouler sur des sols un peu plus caillouteux, nos pensées vont vers Serge Klipfel, le créateur du fauteuil. Merci, merci pour cette merveille ! L'amortisseur est indispensable, et je me révolte d'apprendre que cela signifie que les fauteuils "classiques" n'en n'ont pas ! "Ce ne sont pas des handicapés qui les conçoivent" me dit Alain "Ils n'ont jamais vécu ça, alors ils ne savent pas faire". Quelle honte de ne pas penser à ce minimum de confort pour tous ceux contraints de s'assoir.
 
 


 

Nous passons beaucoup de ponts, au grand ravissement d'Alain. "Depuis que je connais les Alchimistes, j'aime de plus en plus les ponts. Aller sur l'autre rive. Aller dans un endroit que tu ne connais pas. C'est un rapport de toi à toi. Tu vas découvrir quelque chose, un autre côté."

 

Nous déjeunons sous un abris-bus dans la ville de l'Aumône. Quelqu'un y attend. Surement pas le bus pourtant, nous parlons longtemps et rien ne passera de l'après-midi. Il marche même avec nous, finalement, ce touchant garçon de la région. Jusqu'à Condé, il nous explique la chasse, avec ses mots un peu meurtris et pourtant très beaux. Il nous explique le pays, il nous raconte Tommy. Cet ami qui est parti si jeune, à qui cet arbre n'a pas laissé sa chance. De blessure en blessure, ses morceaux de vie et de deuils sont découpés bruts, pudiques et accablants.
Nous pensons à Tommy, très émus de se connecter à son histoire au hasard de cette route et du témoignage de Romain. Nous traversons ainsi son "territoire" le long cette route où il nous aura livré sa vérité et ses cicatrices encore à vif. Sans jamais s'en plaindre.







 

 

 

 

 

 

 
 
Le trajet semble passer tout seul malgré la pluie. "Vous êtes le chemin" vous dit Alain.
 Nous ne sentons plus les kilomètres même si les douleurs pèsent. Tant que c'est plat, ça va. La distance de 20km par jour environ est un bon dosage. Michel & Danièle nous ont d'ailleurs conseillés de plutôt réduire les étapes ou les couper en deux que de faire des journées de pause, pour que l'organisme ne perde pas le rythme. Il est trop dur de repartir le lendemain sinon.
Le dernier kilomètre est une montée à fort coefficient et d'une longueur d'au moins le double... En tous cas, sous la pluie et en fin de périple, un vrai kilomètre de montée en vaut sincèrement plusieurs ! Notre chance est de croiser Fabienne, notre hébergeuse, qui monte en voiture à ce moment là. Alain s'économise ce dernier effort épuisant, et je monte seule la charrette avec les sacs.
 

 

 



 


 

 

 
 
Je ne sais pas si l'on trouvera la lumière, mais les mains d'Alain et mes pieds ont déjà trouvé la centrale des ampoules. Je n'avais jamais vu cette taille et ce nombre de cloques sur de si petites surfaces. Même les pansements seconde-peau ne résistent pas aux frottement du trajet, d'autres ampoules naissent... par dessus ! Après tout c'est bien devenu une autre peau, toute peau a droit à sa dose d'attention. Du méta-ampoules en quelque sorte. De la méta-douleur aussi. Ayant en outre suivi le conseil de Michel & Danièle de parfois garder deux jours nos chaussettes pour conserver l'imprégnation des crèmes apaisantes que nous utilisons, nous nous réjouissons que ce blog n'ait pas d'odorama.

 
 
 


 
Nous passons une très belle soirée couleur légumes du Soleil avec Fabienne et sa douce Maman Anne-Marie. Notre combat les touche et résonne dans leur histoire, et nous découvrons que pour beaucoup la maladie et les accidents de la vie accompagnent le quotidien, sans empêcher un dépassement permanent. Chacun ses cicatrices, et tous la même force de vivre. De se battre et d'avancer. De ne pas "pleurnicher" comme dit Alain, mais être reconnaissant de ce qui nous est laissé. Et faire grandir l'Amour.
 
Quelques notes de guitare, et puis la nuit.




 

3 commentaires:

  1. Plein de force et de courage pour vous des gros bisous al1

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  2. Toujours aussi touchant. Toujours aussi drôle. C'est si vous !

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  3. La photo préférée de mes élèves: les ampoules!!! Continue de nous faire rêver! Sophie, la maitresse des élèves les plus facétieux du monde ;)

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