Notre Dame de Paris - Saint Jacques de Compostelle : 1925km en fauteuil roulant

lundi 24 avril 2017

Dimanche 23 Avril 2017 - Jour 7, étape 5

Silences


Départ : Beaugency (Auberge de Jeunesse)

Arrivée : Suèvres (Presbytère)
Distance parcourue : 21,4 km

Podomètre : 23 786 pas

Cumul : 117 932 pas / 104,7 km

Météo : Grand soleil
Rushes : 21,8 Go

 

Qu'il est difficile de s'accorder avec quelqu'un qui n'est en plus ni le conjoint, ni un membre de sa famille.  Quelles raisons nous poussent à essayer ?

Alain ne s'excuse pas, et je ne comprends pas la nature des sentiments qui me meuvent et déchirent. Je n'ai même pas envie d'arrêter, ce n'est pas le problème. Ce projet va au-delà de mes affects personnels. Mais c'est si dommage d'être dans une telle tension.

Je lui propose tout de même de pousser à la première côte, il me répond qu'il va le faire tout seul. C'est vrai que le chemin est aussi là pour éprouver ses limites et qu'il a besoin de se sentir capable de traverser ces difficultés, même s'il le fait déjà à chaque instant. Et après tout, je me dis aussi que peut-être ma "mission" s'arrête là. Je l'ai aidé à organiser, nous sommes lancés, il peut demander son chemin lui-même et faire ses propres erreurs de trajectoires. Est-ce bien utile que je prépare les itinéraires à l'avance pour m'assurer que le terrain est cyclables ? Les demis-tours et les pertes de temps lui donneront peut-être ce qu'il est venu chercher ici aussi. Peut-être a-t-il besoin de faire de kilomètres inutiles pour dépasser sa colère. Peut-être qu'il ne trouvera que des gens qui lui indiquent la bonne voie. Je le vois d'ailleurs au loin demander à des gens et risquer de partir dans la mauvaise direction. Tant pis. De toutes façons, avec le poids du sac sur le dos et dans de la descente, je ne peux pas le rattraper. Au final, il attend tout de même aux croisements voir où je vais et me suis, puis me dépasse, et ce jeu dure toute la matinée, sans que l'on échange un seul mot. Les deux têtes de pioche. Et en même temps, c'est riche aussi d'être chacun à son rythme. Si tout ne s'arrête pas là, il faudra qu'on trouve des moments comme ça avant de se fâcher. Déjà hier nous avons écouté les oiseaux sur un long moment, sans parler, mais l'ambiance n'était pas la même.
 
 
 
 

 
 
 
C'est en traversant Tavers qu'une voiture s'arrête à ma hauteur : "Saint Jacques ? Vous voulez déjeuner à la maison ?". Wahoo, quel cadeau. Nous rattrapons Alain en voiture et y plions tout le matériel tant bien que mal, pour rouler jusqu'au sublime village de Lestiou. Philippe et Dominique sont des personnes extraordinaires. Ils partagent avec nous leur déjeuner, avec une gentillesse et une positivité à toute épreuve. C'est très émouvant de vivre ce don qui nous est fait, avec autant de naturel et de puissance. Pour couronner le tout, ils nous offrent pour le soir des sardines, du pain et des fruits "car il n'y aura rien d'ouvert à votre prochaine étape". Peut-être suis-je encore touchée par nos émotions de ce matin mais j'ai du mal à gérer mon système lacrymal devant ce geste. De tous nos coeurs, merci pour cette générosité. Elle est si puissante.

 
 
 
 
En repartant, nous rouvrons le dialogue. C'est d'abord une violente dispute mais c'était nécessaire que les choses sortent. On hurle un peu dans la nature et puis on explique et on comprend chacun. Il était mal assis, j'ai eu peur pour lui. Il m'a sentie trop sèche, je l'ai senti trop violent. Il n'avait pas vu ma limite, je l'ai peut-être mal exprimée. Nous avons tellement d'amour l'un pour l'autre et des manières si différentes de nous exprimer, de nous écouter, d'être blessés. Nous avons tous les deux compris beaucoup de choses de cet épisode, et c'est comme si on nous avait enlevé une pierre du coeur.

"On a été élevés comme des cailloux, nous. Je sais répondre à des coups, pas à  des mots doux comme j'en reçois tant sur ce trajet. Mais je ne veux pas donner ça à Omaël. Je suis en train de changer, mais c'est dur pour moi. J'ai de l'eau dans mes yeux depuis une semaine, j'ai pas l'habitude. Avec ce trajet, je vais enlever ces couches. Quand mes mains auront pelées, mon âme pèlera, je serai un pèlerin." Et tu l'as déjà en toi, Alain, cette douceur et cet amour. On ne guérit pas d'un coup, mais c'est pour ça qu'il roule. Et il a d'une certaine manière besoin de se faire mal. "J'ai un rapport particulier à la douleur" me dit-il. Et moi je n'ai pas le même, mais c'est peut-être là la beauté de notre binôme. Il m'a offert la chance inestimable de vivre cette aventure avec lui, et je tente de structurer avec mes moyens les idées riches et diffuses de ce monstre d'énergie. "Moi je fais tout en force, toi tu as plus l'habitude de la distance. Merci de m'aider à gérer l'effort, parce que je veux aller au bout". Et merci de m'apprendre que je ne suis pas toujours indispensable. Je lui demande s'il souhaite continuer seul. "Sans toi, je le faisais en mode raclo. J'y allais à genoux, et je m'arrêtais aux départementales, parce que je connais même pas la route. Tu as compris mon énergie, et je veux que ça éclabousse. Si je savais écrire sur le blog, j'aurais voulu écrire comme toi. Je veux qu'on transmette aux gens cet amour qu'on veut donner. Tout ce que t'as dit, c'est ce qu'il y a dans ma tête. Et les photos, wahou, ça restitue magnifiquement ce que l'on vit. Rien qu'à les voir là, alors qu'on a déjà vu tout ça, j'en est plein le bide, ça remue direct. Merci Alice." Merci à toi, Alain. Ma plus belle récompense est de savoir mes mots et mes images à la hauteur de ton courage. Parce que moi aussi je doute. Comment se sentir à la hauteur d'une telle puissance ?

C'est une immense fierté d'entendre ces mots, mais je sais bien qu'avec tous les efforts du monde je ne saurai pas toujours retransmettre au mieux, car lui seul est lui-même. C'est un tel cadeau qu'il me considère capable de rendre son énergie bouleversante. Les prochains jours je ne parlerai plus autant de moi. Mais j'avais besoin de comprendre ma place. Et nous invitons tous ceux qui voudraient la prendre à se manifester. C'est un superbe cadeau qu'Alain me fait de m'offrir cette reconnaissance, de me dire que je sais transmettre ce qu'il vit et souhaite donner. Mais je ne veux pas garder ce cadeau juste pour moi si d'autres le veulent, et ce serait peut-être encore plus riche si nous étions plusieurs. Nous avons tous beaucoup à apprendre les uns des autres. Je fais de mon mieux pour capter et restituer ce que cet homme incroyable a à nous donner. Et je ne demande qu'à progresser, pour être au plus proche de ce qu'il est. N'hésitez pas à nous y aider. En attendant, merci à tous de votre confiance et du soutien que vous nous apportez. Il nous porte réellement, tous les deux. Et je prends aussi cette énergie pour l'aider à accomplir son exploit. C'est un réel cadeau d'accompagner ce projet en direct. De le voir de mes yeux. Et c'est pour cela que même si je n'arrive pas à publier tous les jours, je tiens à vous donner le maximum de ce que l'on vit. ça ne m'appartient pas seulement. Il veut qu'on vous le donne et j'essaye d'être là pour ça.




 
 


 
 
Nous terminons ce dimanche à Suèvres, village sublime qui nous charme tous deux. Nous dormons dans une salle du Presbytère qui nous est très généreusement attribuée par M. Jean Poulain, le Diacre. Il nous offre le gîte "sans la participation que l'on demande habituellement. Pour ce que vous faites". Encore une cascade de gentillesse qui nous tombe sur la tête. Et par les yeux. Alain chantonne "Toi l'Auvergnat" de Brassens toute la soirée. "Tu te rends compte tous ces gens qui nous offrent à manger, des lieux où dormir... et le taxi hier, incroyable Eric, merci."








 
 
 
 
Nous sommes dans une belle énergie et je me décide à boucler les articles en retard... Sauf que l'ordinateur ne s'allume plus. Pas d'inquiétude car les images sont sauvegardées chaque jour, mais pas toujours les articles. Il est 18h. Grâce à Gabriel & Baptiste qui me portent une assistance morale et technique à distance, l'ordinateur se rallume enfin sur les coups de 22h. Quel soulagement !
 
 
Mais l'heure n'est plus à l'écriture, nous passons plutôt un joli moment d'échange avec Alain. Il m'offre un massage des pieds en me disant que "c'est la première fois (qu'il) masse des steaks hachés de Golgoth 13. Et si tu retrouves tes mollets sous l'acier et le bitume que tu as mis dans tes jambes, on fera circuler aussi". Je n'imagine même pas les crispations qu'il doit avoir dans les mains et les bras. On regarde ensuite les photos et quelques extraits du blog qui sont en mémoire (car il n'y a pas d'accès internet). C'est encore trop dur pour lui de lire tous les commentaires me dit-il, mais il en sent la force derrière lui et je lui en lis régulièrement sur le chemin, à petites doses. Nous parlons beaucoup de chacun d'entre vous. Nous vous envoyons tout notre amour, et c'est tellement soulageant d'avoir retrouvé cette bienveillance profonde entre nous. La dispute nous aura finalement épuré de quelque chose. Pour la première fois, je ne travaille pas le soir et me couche à une heure décente. J'ai très peu tourné aujourd'hui de toutes façons. On dit pourtant que la douleur est créatrice. Nous, on préfère croire au bonheur.
 

3 commentaires:

  1. Alain et Alice je visionne votre trajet avec vous depuis le début malgré les cote le chemin herbeux les difficultés que vous rencontre vous été déterminer et ce qui marque c et votre sourire qui illumine les photo un bel exemple humilite bisou

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    1. Merci Anne Marie, on pense très très fort à toi !!!

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  2. Les plus beaux chemins sont les côtes a surmonté, le sentiments que l'on partage que ce soit le rire nerveux au rire vrai que ce soit des larmes de douleurs ou de joie,et encore merci de le partager avec nous ! Je suis tellement déjà fière de vous et toi tonton qui nous a toujours montré avec ta détermination qu'on pouvait faire ce que l'on voulait si on s'en donnait les moyens ! Tu le prouve encore une fois tous les jours en avançant vers ton objectif !

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